Histoire, légende, vérité : quel casse-tête !

Vous avez dit mémoire ?

Si je n’avais pas vu sur le quai où j’habite des panneaux annonçant une manifestation officielle dimanche 21 février, je n’aurais jamais su qu’hier c’était le centenaire du début de la bataille de Verdun. Je savais que Verdun était un lieu mythique de la Grande Guerre, mais j’en avais oublié les détails … En lisant pour m’informer j’ai pu constater, une fois de plus, comment la mémoire « se construit ».

Verdun

Il semblerait, aujourd’hui, que le général allemand Erich von Falckenhayn qui a attaqué l’armée française à Verdun ne l’a pas fait pour « saigner à blanc » la France comme cela est raconté depuis 100 ans, mais pour des raisons beaucoup moins stratégiques et beaucoup plus personnelles. Que le « mémorandum » sur lequel s’appuie l’histoire qui circule est introuvable et n’a sans doute jamais existé et que c’est seulement quelques années plus tard que ce fameux général a, dans ses mémoires, parlé stratégie en s’appuyant sur un document fictif.

De la même façon, côté français, Verdun n’a été ni une défaite ni une victoire. C’est pourtant sur l’idée de la victoire dont il aurait été l’artisan qu’un certain Philippe Pétain a pris les commandes du pays quelques décennies plus tard. Et c’est autour de cet événement de Verdun, que René Coty, président de la République, a, au cours des célébrations du 40ème anniversaire de ce fameux 21 février 1916, pris position pour l’Algérie française !

Quand la grande histoire nous parle de nos petites histoires

Ainsi donc, l’histoire réécrite par les uns et les autres a influé largement sur l’histoire qui a suivi. Quel est le but pour moi de vous raconter cette histoire (c’est d’ailleurs intéressant de noter qu’en français nous avons un seul mot – contrairement à d’autres langues – pour parler de l’histoire « historique » et de l’histoire qui se raconte. Et on voit bien dans cet exemple de Verdun ce qu’a produit la confusion entre les deux) ?

Histoire fossilisée

Je crois que ce qui se passe au niveau des groupes et des nations se passe aussi au niveau individuel et familial. A côté de ce qui a existé et que des observateurs objectifs et non impliqués pourraient décrire en termes de faits, il y a ce que les uns et les autres ont vécu et la « légende »  qui se construit autour de ce vécu, en particulier quand cette légende vient s’arrimer sur des blessures (comme c’est le cas pour Verdun : blessures personnelles côté du général allemand, blessures nationales côté français). Se tisse alors de façon inconsciente une fabrication de souvenirs, une construction de la mémoire permettant de se tenir dans la vie et d’intégrer des éléments qui font fracture dans l’existence – qu’ils soient douloureux ou joyeux -. Il y a là un mouvement, un processus humain normal et sans doute, par certains côtés, sain. Ce qui est moins sain, c’est quand ce qui est processus et mouvement se fossilise et devient « La Vérité » au lieu d’être une vérité pouvant être remplacée plus tard, par une autre vérité, dans un mouvement souple d’adaptation à ce qui est.

Si « La Vérité » fait mourir,  un truc pour remettre du mouvement !

V.Kandinsky, 1935- Mouvement

Quand La Vérité construite et fossilisée devient quelque chose qui nous bloque, qui est comme mort, qui nous fait considérer tout ce qui nous arrive aujourd’hui à l’aune de cette mémoire passée et nous empêche d’évoluer et de trouver le juste positionnement adapté à ce que nous vivons dans le présent,  alors il est temps de revenir à l’observation des faits. Objectifs. Bruts. Sans interprétation. C’est souvent souverain ! 

Je vous invite à essayer. Quand il vous arrive quelque chose qui vous fait souffrir d’une manière ou d’une autre prenez le temps 1) d’observer et de décrire ce qui se passe en fait : noter ce qui est dit, ce qui est agi, en termes objectifs et 2) de voir quelle légende personnelle ou familiale cet événement vient réveiller et vous entraîne malgré vous à réagir plutôt qu’agir. C’est ainsi qu’on remet du mouvement dans la vie ! Bonne expérimentation de cette déconstruction souvent bénéfique de l’histoire !