Obéir : une clé pour désobéir

Aujourd’hui, en lieu et place d’un article écrit si ce n’est de ma plume, du moins de mon clavier !, je vous propose une réflexion d’Anne Dufourmantelle tirée de son livre Eloge du risque dont je vous ai déjà parlé. Dans son chapitre « servitude volontaire et désobéissance » dont je vous offre de larges extraits, la philosophe et psychanalyste nous explique, avec ses mots choisis, comment nous vivons dans une société qui nous rend esclaves consentants. Et comment, pour retrouver de la liberté, il nous faut parfois obéir … à soi ! 

Servitude volontaire …

Cadenas

Jamais la servitude n’aura été si volontaire. Comment en est-on arrivé là ? A vouloir à toute force notre asservissement, à chérir nos attaches, à considérer avec indulgence hiérarchies, obédiences et diktats noués pour notre bien autour de nos vies comme autant de rubans de couleur destinés à nous faire oublier le cadenas de fonte qui les ferme.

Bien sûr cette servitude a des noms d’emprunts bien choisis […] on parle de normes de sécurité, de surveillance publique pour une vie plus paisible, souhaitée par tous, de protection juridique accrue, de règles de précautions élémentaires. Il y est surtout question de mieux vivre, d’ergonomie, de non-contamination, bref de sécurité maximale. Ah ! bien sûr, nous sommes libres … Libres d’abord de ne pas y souscrire. C’est comme le rachat de franchise, (si bien nommé), un permanent calcul de probabilités qui très vite vous donne des migraines et vous contresignez, écoutant cette petite voix qui vous suggère de le faire. Il est de bon ton de prôner la désobéissance et dans les actes, d’être sage, patient, citoyen désinvolte et pas ingrat d’une démocratie qui fait ce qu’elle peut. […]

… et désobéissance

Clé

Prendre le risque de désobéir suppose la capacité d’obéir, d’une obéissance autre, si je puis dire, sous d’autres latitudes que celle du moi conscient. […] Obéir à soi, ce serait respecter que nous ne sommes pas entièrement subjectifs, que le moi n’est qu’une part de nous-même, qui nous gouverne certes, et fonde notre identité. Mais certaines expériences ne demandent pas l’assentiment d’un sujet, cela « arrive » et nous arrive, voilà tout, et nous sommes à cet endroit-là juste un moment, un événement de ce monde. Obéir « à soi », c’est reconnaître qu’il existe un lieu inaliénable que le subjectif ne contient pas entièrement. Le for intérieur, au Moyen-Age, désignait peut-être mais sous des couleurs clairement spirituelles, cet espace « autre » à l’intérieur de soi qui, même sous la torture, ne pouvait pas se rendre, je veux dire par là que même avouant, il ne pouvait offrir au bourreau ce lieu imprenable, universel, de sa liberté.

La désobéissance ne serait-elle qu’une obéissance seconde, au sens kierkegaardien ? Loin des loyautés aveugles qui nous convoquent au renoncement et à la compromission. Peut-être faudrait-il commencer par là … faire acte de cette obéissance à soi qui permet de pouvoir dire non.