moi-nous-les autres

Qui suis-je ?

 

Je trouve difficile d’écrire un post en ces jours. L’envie serait de me taire, de faire silence. Comme beaucoup d’entre vous, j’ai été bouleversée par les drames de la semaine dernière. Tant de vies fauchées, meurtries, ébranlées à jamais : celles des victimes, celles de leurs proches, celles des rescapés, mais aussi celles des assassins …

Etre, ne pas être ou n’être pas ? 

J’ai suivi les mouvements citoyens suscités par ces tragédies. J’ai ressenti cette vague de solidarité et d’humanité qui s’exprimait. J’ai lu les articles et les réactions de celles et ceux qui s’identifient aux victimes : « je suis Charlie », « je suis policier », « je suis juif ». J’ai aussi été attentive aux réactions de celles et ceux qui, tout en se sentant en empathie avec les victimes, prennent de la distance en déclarant « je ne suis pas Charlie » ou de celles et ceux qui prennent de la distance sans empathie.

Et ce qui m’apparaît comme une évidence, la seule chose dont je puisse parler aujourd’hui, est que ce qui se joue là a fort à voir avec une interrogation fondamentale sur l’identité : finalement, qui suis-je ?

Et j’ai juste, ce soir, envie de questionner ce questionnement.

Ce que les accidents de la vie me révèle de moi-même

Quand une catastrophe de cette envergure me rencontre de plein fouet, que vient-elle révéler de moi, de qui je suis ? Quel que soit le côté du malheur où je me trouve, – victime, bourreau ou « spectateur » -, ce que je suis est mis à jour.

  • Est-ce que je suis ce que d’autres me disent que je dois être parce que ma vie manque de sens et de consistance ? Ce qui me conduit à ressentir les contradicteurs comme des atteintes à ce qui me permet de me sentir exister. De là à désirer supprimer, réellement ou symboliquement, tous ceux qui ne partagent pas ce qu’on m’a dit de penser et que je me donne l’illusion de croire mien … il n’y a qu’un pas … que certains franchissent.
  • Est-ce que j’ai besoin des autres pour conforter les valeurs qui sont les miennes ? Est-ce que j’ai besoin de leur approbation pour être qui je suis ?
  • Est-ce que j’ai peur de disparaître, de ne plus être, si mes valeurs sont attaquées, questionnées ou remises en cause ?
  • Est-ce que j’ose assumer ma différence ? Est-ce que je me sens assez solide pour, seul, pouvoir résister et affirmer ce que je crois et ce que je suis ? Est-ce que je peux me laisser toucher sans me laisser absorber ?

L’être et le slogan

Ce qui est intéressant dans cette question de l’identité brassée ces jours, c’est le fait qu’elle s’exprime à travers des slogans : « Je suis », « Je ne suis pas », « Nous sommes ». Et forcément, le propre du slogan étant de simplifier, cela génère des oppositions : ou « je suis »  ou « je ne suis pas » . Ou c’est « Je » ou c’est « Nous ».

Mais est-ce si simple ?

N’est-il pas possible tout à la fois d’être et de ne pas être ? Ce qui me rend unique n’est-il pas un subtil panachage de tout ce que je suis et de tout ce que je ne suis pas ?

Est-ce que je suis parce que nous sommes ou est-ce que nous sommes parce que je suis ? Le « Nous » ne se nourrit-il pas de « Je » qui savent qui ils sont et les « Je » ne deviennent-ils pas pleinement ce qu’ils sont dans la confrontation positive avec d’autres « Je » qui ensemble forment un « Nous » ?

Des « Je » sans « Nous » ne font-ils pas le lit de l’égoïsme ? Mais des « Nous » sans « Je » ne génèrent-ils pas des suiveurs sans réflexion ? …

Oser dire « Je » pour pouvoir dire « Nous »

 

Pour pouvoir dire « Je » sans crainte d’être dévoré par les autres et sans volonté de vampiriser les autres, ne dois-je pas accepter d’aller voir en moi les zones d’ombre que les drames de la vie viennent mettre en lumière ?

Ma conviction, qui n’est qu’une réponse parmi d’autres possibles, c’est que c’est en acceptant de nous coltiner, chacun pour soi, – même si c’est dans l’échange avec d’autres -, et en toute honnêteté, à la question « qui suis-je ? » et aux chausses-trappes qui vont souvent avec, que nous devenons des « Je » responsables de nos choix, de notre parole, de notre vie et en capacité  à être solidaires et inter-dépendants.